A propos des Crabes...


Un cauchemar comique

Deux couples par erreur dans la même villégiature. L'un digère l'autre. C’est une pièce qui est axée sur l’acte de manger, sur l’acte d’avaler, de dévorer. Les locataires sont des êtres dévorants qui rongent complètement l’intérieur de la maison, y compris les deux propriétaires. Ce que je fais est à peine exagéré. Il s’agit d’une villa au bord de la mer qui doit être louée parce que les deux occupants sont des jeunes gens, une jeune fille et un jeune homme, qui n’ont pas d’argent. Ils sont même menacés par les huissiers. Les locataires qui arrivent prenant toute la place, finissent par créer des désordres graves dans la maison.

                                                                                                                       Roland Dubillard

Une science de l’émiettement

 « Les Crabes » de Roland Dubillard: une pièce qui, à la manière des poupées russes que l’on déboîte, révèle ses multiples facettes. On aime, quand on est face à cette pièce, son caractère comique et angoissé mais aussi le mélange des genres auquel s’adonne Roland Dubillard.
En un clin d’œil, l’auteur nous fait passer avec grande aisance de la tragédie grecque à l’univers des ressorts du théâtre de boulevard. Cette façon unique avec laquelle l’ humoriste brouille les pistes puis dynamite les codes fait des « Crabes » un espace mouvant, un terrain où les interprètes sont constamment appelés à laisser libre cours à leur inventivité et leur fantaisie.

L’histoire des « Crabes » à la première lecture m’est apparue comme un récit proche de Kafka, où la banalité du quotidien et du réel basculent soudain dans l’étrangeté. C’est cette structure fondamentalement poétique de la pièce qui m’a fasciné. « Les Crabes » sont un cas unique où l’écriture et la fable se nourrissent l’une l’autre, à la manière de ces vases communiquants, pour créer sur scène des situations où l’humour noir confine à l’onirisme.
Mais dans cette pièce, ce qui dérive, c’est la langue que l’auteur creuse jusqu’à l’absurde comme s’il donnait et retirait simultanément aux mots leurs pleins pouvoirs par la parole. La langue avance ainsi le long de la pièce, prête à tout dévorer sur son passage : l’émotion et le sens. C’est une véritable science de l’émiettement que nous fait partager l’auteur en humoriste.

La scénographie et la mise en scène contribueront à accentuer et suggérer une perte progressive de nos repères. Un coin de villa encore épargné par les inondations mais rongé par une nature envahissante : un « no man’s land » où vont se mêler intérieur et extérieur. Une sorte de refuge de la dernière heure. Une bande-son, basée sur un traitement sonore électro-acoustique, jouera notamment sur des registres très divers pour évoquer la particularité du lieu, véritable réceptacle où les informations et les sensations finiront par se brouiller et voler en éclats.

                                                                                                            Jean-Baptiste Fournier

 
©2010 Compagnie Jeu d'Empreintes - Conception : Olivier Chevre